Atikamekw Nehirowisiwok
LE TERRITOIRE
Il y a des liens difficiles à briser, des arbres centenaires, enracinés et résistants, impossibles à tuer. Le lien qui unit nos nations à la nature fait partie de ceux-là. On pourrait croire qu’ils sont nés de l’imaginaire, de l’inconscience sauvage et naïve des Premiers Peuples. Toutefois, ces liens sont bien réels, imprégnés dans l’histoire et dans la vie ancienne des nomades.
Nos cultures se lisent dans notre attachement à nos modes de vie traditionnels, et dans nos façons de vivre et de penser. Les valeurs comme le respect, l’entraide et le partage sont au centre de nos collectivités, et plusieurs mots de nos langues en témoignent. Auparavant, les gens étaient unis par l’esprit communautaire. Il n’y avait pas de vie possible sans lui. Nous avons établi nos lieux de vie traditionnels avec nos proches, là où nous désirions voir nos enfants grandir, là où nous nous sentions liés et en harmonie avec un lieu. Mais même si nous n’habitons plus le territoire traditionnel, il est en nous, ancré par des millénaires d’occupation.
Le territoire est le berceau des nations autochtones : notre culture, notre histoire, notre langue, notre spiritualité, notre mode de vie ainsi que notre identité ne font qu’un avec lui. Le territoire est tradition et coutumes. De nos jours, nous occupons ce territoire autrement, mais c’est là que nous puisons notre force, notre courage et notre persévérance pour continuer à défendre nos droits, notre langue, notre culture et nos propres façons de faire.
Ultimement, s’il n’y avait qu’une seule constante, ce serait probablement cette chose toute simple que, plus que tout au monde, nous tentons de transmettre et de pérenniser : cette forme de sensibilité aux éléments naturels et à cette relation étroite qu’elles entretiennent avec l’équilibre du grand tout, dans cet immense cercle dans lequel nous évoluons tous, nature, hommes ou bêtes.
À l’origine, il était donc pour nous insensé de penser posséder les choses, la terre, les éléments. Nous nous percevons comme une composante de l’univers et non comme une entité distincte au sein de celui-ci : nous n’avons aucun pouvoir sur les autres composantes, sauf celui de négocier avec elles notre place et nos relations. Aucun être vivant n’est supérieur aux autres. Chacun est essentiel là où il est. L’eau et la terre ne nous appartiennent pas, tout comme les ceintures de wampum n’appartiennent pas à leur gardien. Le mandat de ce dernier est de les protéger et de les transmettre.
Pour nous, aller dans le bois, c’est entrer dans notre maison. Le territoire, dans sa totalité, nous sert d’abri, de pharmacie, de garde-manger. Nous pouvons vivre dans et avec ce territoire. Notre identité y est profondément liée; c’est pourquoi la protection de l’environnement et l’importance de l’eau sont profondément enracinées dans nos traditions. Le territoire est une ressource vitale pour nous, non seulement pour la nourriture et pour les matières premières, mais également parce que notre médecine traditionnelle utilise certaines parties animales. Les cours d’eau sont nos routes et nos garde-mangers; il faut donc en prendre grand soin.
Il est facile d’oublier combien rude était cette vie. Épuisante, éreintante. Une continuelle course à la subsistance. Les besoins primaires parfois difficiles à combler. L’hiver aride et les famines qui se succèdent. Le froid qui mord et qui tue les faibles. Les bébés qui meurent après leur premier souffle à cause des piètres conditions d’hygiène et les mères qui s’éteignent en donnant la vie, en laissant des orphelins. Les maladies inconnues qui emportent des familles entières.
Il faudrait être fou pour désirer le retour en arrière, vivre comme les ancêtres. Et il faudrait être ignorant pour ne pas saisir toute la grandeur de leur accomplissement. De leurs souffrances et de leur survivance, nous sommes les héritiers.
Cette forêt, elle était habitée depuis un temps qui dépasse les 400 ans d’histoire occidentale, depuis un temps qui se compte par millénaires. La forêt parcourue d’une montagne à l’autre, d’un ruisseau à une rivière. Leur combat, leur vie et leurs difficultés nous auront servi de guide. C’est parce qu’ils ont marché et habité les forêts sauvages qu’aujourd’hui nous pouvons y aller pour nous recentrer. C’est parce qu’ils ont porté, ramé et tué l’animal que nous sommes encore habitants de ces territoires. Et lorsqu’il nous arrive, durant les vacances d’hiver, de prendre le train, de regarder filer les horizons enneigés, d’habiter quelques jours le silence éloigné; lorsqu’il nous arrive, en pleine tempête, de rester dans la cabane de bois, il ne faudrait jamais, en aucun cas, oublier de qui nous sommes les descendants, ceux qui nous auront permis d’aimer notre territoire.
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